Mon Histoire

Ce vendredi 13

Avant le 13, j’étais une jeune femme de 26 ans, qui vivait en région parisienne depuis un an presque deux.  Je vivais une période un peu rude, pas insurmontable, mais épuisante. Ma priorité à ce moment là était  » les amis, la famille, la musique, l’art en général », mais je m’empoisonnais la vie par des petits détails. Le 13 novembre était le jour pour moi d’oublier cette période un peu rude, d’en profiter avec mon meilleur pote, qui a fait le déplacement de notre région natale à Paris, pour voir LE groupe qui nous fait nous dandiner chaque soirée qu’on passait ensemble.

Je suis le genre de personne qui n’aime pas le nombre 13, mais qui essaie de ne pas y penser le jour J. Parce que ce n’est qu’un nombre. Le vendredi 13 novembre, je me suis dit « ça ne peut pas être une mauvaise journée, ça ne pourra pas être une mauvaise soirée ». Ca faisait des mois que cette soirée était prévue, des mois qu’on la rêvait.

Vers 17h30 on se dirige vers le Bataclan. On ne pensait pas qu’il y aurait déjà du monde. On patiente (avec des petits passages des membres du groupe, du bus à la salle, de la salle au bus…) Je me rappelle qu’en patientant, il y avait un jeune homme qui avait donné la fin de son sandwich à un chien errant qui était en train de fouiner dans la poubelle. Je me rappelle de ces jeunes derrière moi, avec leurs bonbons et boissons. De ce responsable de lavomatic qui grognait pour je ne sais quelle raison et qui m’avait fait sourire.

Quand les portes du Bataclan se sont ouvertes, on a décidé qu’on allait être dans la fosse contre les barrières, au plus près du groupe. On était à gauche. La décision était facilement prise étant donné que le centre était déjà envahis de monde, et que le côté droit également.

On était en avance, on était heureux. T. a été voir Nick (vendeur merchandising) pour s’acheter un sweat, il nous a ensuite cherché des bières. Le temps qu’il revienne, une jeune femme s’était installée à côté de nous, à notre gauche. Un bout de femme, sourire aux lèvres.

Le concert commence… La foule se déchaîne, je me déchaîne. J’entends tout le monde qui crie les paroles des chansons, tout le monde qui s’amuse, qui se bouscule, qui s’excuse d’avoir bousculé (oui, une première pour moi, entendre des gens qui s’excusent dans un concert pour avoir bousculé par inadvertance).

Mais à un moment, quelque chose ne va pas. J’entends du bruit à l’arrière de la salle. Je pensais que c’était une batterie. Le batteur officiel du groupe n’était pas là, et je pensais que peut-être il nous ferait la surprise de venir. Je pensais qu’il y avait une sorte « de battle de batterie ». Mais je sentais au fond de moi que ce n’était pas normal, mais je ne voulais pas y croire. Je me suis retournée et j’ai vu deux ombres au fond de la salle, arme à la main qui tirait sur la foule. Je voyais les flashs sortir. C’était la seule fois où je me suis retournée de la soirée. Et malgré cela, je n’ai pas pu m’empêcher de dire dans ma tête et à haute voix  » ce n’est pas vrai, ce n’est qu’un rêve ».

Ce n’était pas un rêve, mais bien un cauchemar. J’entends légèrement T. me dire « il faut qu’on se tire » , je le sens prendre mon bras, mais je tire d’un coup sec parce que je n’y croyais pas. J’ai alors regardé le chanteur, Jesse Hughes, et je me suis dit  » Si toi tu t’en vas de la scène, c’est que je dois courir ». Je l’ai regardé, il s’est enfui.

J’ai pris mon manteau qui était sur la barrière et j’ai essayé de fuir sauf que c’est à ce moment là, que je suis tombée par l’effet de domino.

Je me retrouve à terre, je tire de toutes mes forces sur mon manteau, sans comprendre que quelqu’un était dessus. La jeune fille qui était dessus s’est levée légèrement pour que je puisse reprendre mes affaires. Dans son regard, j’ai vu la terreur. Je me suis demandée si j’avais le même.

T.  n’était plus à côté de moi et j’étais persuadée qu’il était déjà dehors. Cette croyance m’a permis de rester sereine, et de me dire : » Lui, il est dehors, en vie, tout va bien. Il ne reste plus que moi et moi je vais vivre aussi. ».

A ce moment là, je ne savais pas que les sorties de secours étaient à gauche de la scène. Je ne savais pas que j’étais proche de la sortie.  Je ne savais même pas si c’était vrai que T. était en vie, dehors ou non. Mais dans ma tête, j’en étais persuadée.

Une fois mes affaires en main, je me suis levée et j’ai couru vers la sortie. Sans chercher à comprendre ce qu’il se passe.

Je me vois encore me lever, je me vois sortir par la sortie de secours et voir une personne assise à côté de la sortie mais à l’intérieur du bâtiment regarder dans le vide. Je ne sais pas si cette personne était vivante, morte ou tétanisée… Je ne le saurai jamais. Je vois encore cette personne à l’escalier à côté de la porte de secours, dire en anglais « montez montez ». Mais j’étouffais, je devais sortir. J’avais besoin d’air.

Ma première bouffée d’air à l’extérieur, j’ai cru « revivre ».
Pas le temps de me réjouir, je dois retrouver T. Instinctivement, je me dirige à droite vers la rue Amelot. Je m’arrête pour essayer de mettre mon manteau, mais j’en étais incapable. Je tremble trop. Je prends mon portable,  qui était dans mon manteau, j’essaie de taper mon code. Je n’y arrive pas.. Le temps que j’y arrive, T. me téléphone.

J’avais donc raison, il était dehors, en vie. Il me demande où je suis.. On met du temps à se retrouver. Je vois les gens défilés devant moi, mais je n’entends plus rien, et je n’arrive pas à comprendre les visions qui passent de moi. De toute façon, ma priorité est « 1. retrouver T 2. Fuir ». Au bout de plusieurs minutes qui me semblent une éternité, je le retrouve enfin. Il va « bien », il n’est pas blessé.

On commence à courir ensemble et un homme nous dit en anglais « Continuez à courir, ils tirent dans la rue ». Je me retourne, et vois la femme qui était à notre gauche pendant le concert. Instinctivement, je lui ai dit « je ne te connais pas, je ne connais pas ton prénom, mais je suis heureuse de te savoir en vie » et je l’ai enlacé.  On continue à courir et j’entends les pleurs de détresse d’une femme. Je pensais qu’elle était seule et j’ai voulu la réconforter. Mais elle m’a rejeté et j’ai vu que son ami était là près d’elle, ça m’a rassuré.

On décide, avec T, de traverser la rue pour le boulevard des filles du calvaire. Je vois un homme, jeune, terrifié, au téléphone. Il crie. « Je suis au téléphone avec la police, ils nous disent de nous réfugier chez les habitants. OUVREZ NOUS. OUVREZ NOUS !!!! »  Et on s’est mis à crier à 2, puis à 3, 4..

Deux jeunes ouvrent la fenêtre, ne comprend rien de ce qu’on dit mais nous ouvre. On s’engouffre dans cet immeuble. On ferme bien la porte derrière nous  » au cas où ». On s’engouffre dans l’appartement et là.. Les larmes commencent. On explique, on essaye du moins. On nous explique qu’il y a un attentat au stade de France, on a les infos devant nous…

Et puis on téléphone à la famille.. « Maman, je te téléphone pour te dire que je suis en vie. »  aux amis « Oui, je suis en vie. Oui .. J’ai de la chance. Oui ».

Je ne comprends plus trop.. Je tourne en rond. Entre les sms, les appels, le stress. Je regarde parfois par la fenêtre, je vois la BRI qui se dirige vers le Bataclan. Je vois les otages sortir aussi.  Je ne comprends pas.

Je me rappelle des gyrophares qui tournent en continu dans la pièce. Des sirènes. De la terreur. De mon corps, de mes larmes.

Les 2 jeunes nous ont aidé, sauvé. Ils nous ont nourri, ils nous ont donné à boire. Je ne les remercierai jamais de leur geste. Et je ne les oublierai jamais.

Je n’ai pas dormi cette nuit là et le 14, j’ai décidé de retrouver ma famille dans ma région natale. Petite anecdote: on a eu une frayeur dans le train du retour car le train s’est arrêté au moment où une femme a crié dans un wagon.. On a pensé à un autre acte de terrorisme et on s’est demandés comment on allait s’en sortir dans un wagon fermé..

Aujourd’hui, je suis de retour dans ma région.  J’avais besoin de ce retour aux sources.

Je n’ai pas été touché physiquement par les attentats et pourtant parce que le mental a pris, j’ai été touché en quelque sorte physiquement. J’ai été malade de janvier à mars 2016 presque en continu. Mon corps est fragile, il fatigue très facilement. Aujourd’hui j’ai l’obligation de m’écouter, d’écouter mon corps pour aller bien.

Ce qui a changé depuis? Je me sens forte, mais fragile. Fragile, parce qu’il a toujours des moments où ça va moins bien. Parce que je ne contrôle plus mon corps par rapport à avant. Parce que maintenant, j’ai peur avant d’aller à un concert, que j’ai peur parfois pendant le concert, et que j’ai encore peur après le concert. Parce que des fois, j’ai des cauchemars, des souvenirs qui me reviennent. Des fois j’ai peur sans raison.

Mais je suis aussi Forte parce qu’aujourd’hui je dis les choses. ça ne va pas? Et bien je le dis. Quelqu’un me fait chier? Bah je le lui dis. Peut être un peu trop franchement, mais ça ne me dérange plus. Je suis plus forte aujourd’hui parce que je sais ce qui est important dans ma vie, ce que je veux , et surtout ce que je ne veux pas. Je ne veux plus subir. Alors je prends tout ce qui est bon. Le mauvais ce sera pour plus tard. peut être.

Aujourd’hui je prends vraiment soin de moi, de mes envies, de mon corps. Je sais sur qui je peux compter dans ma famille, dans mes amis. J’aime toujours autant la musique et l’art. Et c’est tout ce qui compte.

— Texte écrit en 2016 –

Les Others

32 commentaires sur “Ce vendredi 13

  1. J’ai eu les larmes aux yeux en te lisant, je te souhaite le meilleur pour les années qui viennent. Je ne peux pas imaginer ce que tu ressens, on est nombreux sans même avoir vécu ça à ressentir aujourd’hui une peur dans les transports, dans les endroits bondés de gens, une peur qui n’existait pas avant. Mais je sais que ce n’est rien en comparaison avec le fait de l’avoir vécu de près… J’espère que beaucoup d’amour adoucira le traumatisme de ce souvenir pour toi ❤

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    1. Coucou,

      Je te remercie énormément pour ton commentaire La Nébuleuse.
      Je t’avouerai que je ne pensais pas que j’allais émouvoir quiconque. Je raconte simplement mon vécu.

      Mon commentaire peut sembler froid, mais ce n’est clairement pas contre toi (ou quelqu’un d’autre). J’accuse le contre coup de ce 13 novembre. D’ailleurs j’ai tendance à dire vendredi 13 novembre même si ce n’est pas le bon jour. Bref, je blablate!

      Je te rassure, je suis très bien entourée ❤
      Je te remercie encore pour ton commentaire. Et j’imagine bien que pour les parisiens cela doit être un jour bien particulier également.

      Bisous!

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    1. Coucou Emeline,

      Je suis touchée par tes mots! Comme je le disais à La Nébuleuse, je ne songeais absolument pas émouvoir quiconque.
      Je suis flattée également que tu le trouves magnifique.

      Merci beaucoup pour ton commentaire, ton soutien, pour ton affection également.
      Merci pour tes mots

      Je te souhaite une très belle journée 🙂

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  2. Bonjour,
    Je ne te connais pas et je n’ai pas vécu ça… mais ton article m’a fait couler des larmes.
    Merci pour ce partage.. et bravo pour ton courage et ton sang froid.
    Et merci de nous rappeler par ce biais que nous avons de la chance d’être en vie…
    et qu’il faut vivre, ne pas se prendre la tête, dire les choses, aimer et profiter…
    Le cerveau humain a toujours tendance à l’oublier rapidement!
    <.3
    Adeline.

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    1. Bonjour Adeline,

      Ton commentaire m’a extrêmement touché. Je crois que tu fais partie des seules qui a compris l’essence même de mon article.
      C’est clairement rude, c’est un véritable combat mais on continue, on avance.
      Oui nous avons beaucoup de chances, faut simplement voir en quoi nous sommes chanceux.

      Désolées pour les larmes. Prends soin de toi.
      Merci encore pour ton message
      Je te souhaite une bonne journée Adeline 🙂 ❤

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  3. Je trouve ce texte beau et généreux. Généreux parce qu’il invite tes lecteurs à profiter du moment présent, à être soi-même, à dire ce que l’on pense, ce que tu as réussi à faire après avoir frôlé la mort. C’est sans aucun doute terrible d’avoir vécu un tel traumatisme, et je trouve que tu en as fait quelque chose de positif, alors bravo !

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    1. Coucou Bibliblogueuse!

      Je le répète souvent ce genre de phrase mais c’est sincère. Je suis extrêmement touchée par tes mots. Je suis aussi touchée que l’on ait compris l’essentiel de mon article.
      J’essaye d’avancer et de continuer à voir les choses positives mais c’est évident que par moment c’est assez difficile ^_^. Comme pour n’importe qui, en fin de compte :).

      Je te remercie pour ton message !
      A bientôt 🙂 !

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  4. Un récit poignant et malheureusement réel…
    Début décembre de la même année, j’étais à un concert à la Laiterie, j’avais la boule au ventre et ces tristes et horribles images en tête…
    Je n’ose et je ne peux imaginer ce que toi tu as vécue.
    Je ne te connais mais je suis content que tu t’en sois sortie.
    Bonne soirée

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    1. Je te remercie
      Mon premier vrai concert je l’ai fait en février 2016 à la laiterie.
      Sincèrement je suis heureuse de lire que malgré tes angoisses, tu as été au concert. Bon nombre de personnes se sont arrêtés de vivre (concerts, bars, marchés de Noël ..), là où de nombreuses victimes se sont battus pour continuer.

      J’ai pleuré plusieurs fois dans les concerts et je sors souvent de la salle de la laiterie quand je vais mal mais je continue! Le but est de s’habituer à vivre avec les symptômes et non de se perdre dans l’angoisse.

      Je te remercie de continuer avec moi et tous les autres 🙂 d’autant plus maintenant !

      Je te remercie également pour ces jolis mots !
      Prends soin de toi !
      Bonne soirée !

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        1. Je continue à regarder les sorties de secours qui sont assez déplorables à la laiterie. Je me sens assez mal dans cette salle mais je continue à y aller. Je préfère tout de même voir les groupes en Allemagne ou au Luxembourg.

          Tout s’apaise mais rien ne s’oublie !
          Merci de t’être attardé sur mon blog, ça me touche beaucoup !

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